Dokument-Nr. 9642

[Kein Betreff], vor dem 25. Mai 1918

Très Saint Père,
En adressant à toutes les nations belligérantes la note d'Août dernier, Votre Sainteté s'est affirmé au monde comme la plus haute puissance morale, capable de dominer les passions exaspérées par l'immense conflit qui met aux prises tous les peuples de la terre. Devant cette intervention, ceux d'entre nous qui sont vos fils par le baptême et par la foi s'inclinent humblement et affectueusement et prient Dieu de bénir vos efforts paternels. Quant à ceux qui, parmi nous ne partagent pas les croyances catholiques ni même chrétiennes, ils saluent respectueusement en votre personne, l'héritier légitime de la plus haute autorité historique qui soit ici-bas et reconnaissant la sublime grandeur de votre rôle et de votre geste. Et ce sont tous ces sentiments réunis que nous éprouvons pour votre personne, c'est la hardiesse même avec laquelle vous prenez position entre les combattants, qui nous encouragent à nous adresser à vous en ce moment, afin que du haut des régions augustes d'où vous dominez le monde, vous éclaircissiez la situation de plus en plus troublée qui est faite aux populations civiles des territoires français occupés par l'Autorité Allemande.
Cette situation qui fut toujours douloureuse par définition même a été considérablement aggravée lors de la promulga-
88r
tion et de l'organisation par les Autorités militaires occupantes du travail civil obligatoire. En s'engageant sur ce terrain et en nous y entrainant de force avec eux, les Allemands ont crée pour notre honneur les difficultés les plus complexes qui puissent torturer une conscience humaine, intelligente, fière, délicate, et par conséquent éminemment responsable. Ce travail, avons-nous besoin de le déclarer à Votre Sainteté, nous est odieux, il nous est odieux non pas que nous ayons de la réputation pour le travail, puisque nous appartenons à une région à la fois industrielle et agricole l'une des plus laborieuses de l'ancien monde, mais ce travail forcé, dans les conditions où il se présente, organisé par l'ennemi, exécuté sur ses ordres et sous sa direction, en une région si proche de la zone de bataille, que les moindres pelletées de terre remuées, les moindres outils fabriqués, ont une valeur de guerre considérables pour l'occupant, ce travail soulève une multitude de problèmes d'ordre moral qui sont le tourment d'une race fière et patriotique. Nous n'avons ici ni l'intention, ni la liberté de vous exposer les faits. Ces faits d'ailleurs sont acquis à l'histoire fidèle ou simplement à l'enquête impartiale. Aucun pouvoir au monde ne peut empêcher que les faits ne soient les faits, et que depuis plus d'un an et demi les autorités militaires allemandes les aient laissés s'engendrer, se développer, s'entremêler et s'enchevêtrer dans un réseau inextricable dont
89r
elles portent la responsabilité, mais où nous étouffons. Et c'est l'angoisse même où nous nous débattons qui nous a portés à nous adresser à Votre Sainteté. Car si réellement, comme l'affirment la plupart de ses journaux et de ses hommes d'Etat, l'Allemagne veut la paix, la paix fondée sur un traité stable et juste, elle a dans les régions occupées, où aucun pouvoir humain n'est capable de s'opposer à ses volontés, l'occasion de montrer dès à présent ses intentions. Elle pourrait ici, si elle le voulait, signer toute seule une espèce de pièce justificative de ses doctrines et de ses pratiques touchant la liberté des peuples et des individus; et en faisant aux Français des régions occupées l'honneur de les considérer aujourd'hui comme des ennemis, désarmés sans doute, mais ennemis encore, ennemis loyaux et respectables; en ne les invitant pas à collaborer a quelque titre que ce soit, aux travaux de l'armée allemande; en mettant même une manière de coquetterie à ne pas nous mêler à ses affaires d'aujourd'hui, elle se préparerait peut-être à commencer demain les inévitables conversations que suppose un traité de paix. En respectant avec scrupule les derniers progrès du droit international, en n'imposant pas à des Français qui seront libres demain des mesures qui n'ont été portées en Allemagne, que pour l'Allemagne, pendant la guerre et pour la guerre, elle inaugurerait peut-être dans nos régions dévastées une espèce de régime de transitions entre les lois de la guerre et le traité de paix.
90r

Votre Sainteté réclame, prévoit pour demain, l'existence d'un droit international plus conforme aux exigences des consciences modernes et chrétiennes. Il est certain que les guerres à venir, si jamais les guerres se renouvelaient pour le malheur de l'humanité, devraient tenir compte des susceptibilités plus exigeantes des consciences humaines. Les progrès du patriotisme dans les temps modernes, le nationalisme plus avisé et plus aiguisé de tous les peuples du monde, n'autorisent plus ces pratiques périmées des siècles disparus, où les garnisons militaires successives employaient à leur gré les forces humaines, de quelque nation qu'elles fussent, que les hasards de la guerre mettaient momentanément à leur disposition. Cette répugnance de la conscience moderne à toute collaboration avec l'ennemi est une conquête que les Allemands aussi bien que les Français ont intérêt à ne pas abandonner.
En tout cas, nous, Français des régions occupées, nous avons depuis 3 ans une expérience si particulière et si concrète de la guerre, à l'arrière du front, que nous voulons, avant même que la guerre ne s'achève, crier au monde par l'entremise de Votre Sainteté, notre horreur pour ces collaborations outrageantes et forcées. Encore une fois, si vraiment l'on veut la paix, que l'on commence à la faire ici, puisqu'on en a le pouvoir; sinon, au lendemain du traité, le droit international en matière d'occupation militaire aura reculé encore vers le passé pour le plus dam1 [sic] de la civilisation moderne.
91r

Après avoir considéré ces aspects historiques et légaux du problème, il nous sera bien permis, puisque nous avons l'honneur de parler au Chef de la Chrétienté, d'envisager le coté moral de la question qui recouvre et déborde le premier sans s'opposer à lui.
Le travail pour l'ennemi, sur l'ordre et sous la direction de l'ennemi, part d'un principe mauvais qui entraine les pires conséquences morales. L'autorité Allemande, au moment de mettre en mouvement cette immense machine du travail civil, a mis volontiers en avant les inconvénients pour la moralité publique et privée de l'oisiveté où étaient plongés des milliers de citoyens français. Cette oisiveté est évidemment un grand mal, mais le principe en était bon, c'était un spectacle digne d'admiration et signe de la civilisation que celui de cette population qui, ne pouvait plus désormais travailler ni combattre pour sa Patrie, se condamnait à l'inaction, aux privations, à la vie réduite et misérables dans une espèce de neutralité à la fois forcée et acceptée, spectatrice impuissante et muette, mais résignée, d'un conflit où se jouait ses propres intérêts. Et c'est aussi un spectacle dont nous ne comprenions pas la grandeur que celui donné alors par l'occupant, qui, respectueux des conventions antérieurs et des droits de la conscience, se décidait, après avoir désarmé la population, à faire lui-même ses affaires militaires. Il y avait, entre ces occupants et ces occupés désarmés, comme un contrat tacite, préface des labo-
92r
rieux et lointains traités de paix à venir, en vertu duquel chacun, après avoir sauvegardé les droits de sa conscience partait de son coté, l'un renonçant à faire la guerre, et l'autre se décidant à la faire seul. L'oisiveté qui en résultait était un inconvénient, comme la guerre elle-même, mais reposant sur un principe juste et bon qui enlevait aux abus inévitables leur malice foncière.
Tout ce bel édifice s'est écroulé le jour où, sans tenir compte des municipalités, l'Autorité Militaire a organisé elle-même le travail des occupés. Ce jour-là ce qu'elle a cru être son droit et son devoir s'est trouvé en contradiction avec le droit et le devoir tels que le comprenaient les populations françaises; et un immense et nouveau conflit, bien plus douloureux peut-être aux yeux de Votre Sainteté que celui des champs de bataille a éclaté dans les pays occupés sans que désormais aucun principe bon ne vienne enlever aux abus inévitables leur malice. Au contraire, toutes les conséquences fâcheuses, résultant des évacuations, des agglomérations, des concentrations, tous les accidents du travail, les maladies, les décès ont pris un caractère néfaste puisque toutes ces misères étaient le résultat d'un travail odieux. D'ailleurs les ordres de plus en plus exigeants de l'Autorité Allemande eurent bientôt pour résultat de provoquer directement notre patriotisme national et régional, puisqu'il est devenu courant de réclamer des ouvriers des travaux de fortification sur le front, la réparation de
93r
matériel de guerre, la construction de lignes stratégiques, la destruction systématiques des métiers de nos usines qui furent autrefois le gagne-pain d'une nombreuses population et qui demeurent indispensables au relèvement économique de demain. Aussi, pour vaincre la résistance des âmes, il a bien fallu d'ailleurs faire pression sur le corps, étant donné qu'en dehors de la libre acceptation des volontés, l'homme n'a pas trouvé jusqu'ici d'autre moyen de faire plier ses semblables.
Avec ou sans l'assentiment des autorités supérieurs, des subordonnés responsable et armés, chargés de faire exécuter à des ennemis désarmés un travail qui est en abomination à ceux-ci, emploient pour faire céder ces volontés des moyens durs, où la faim, les services et les intempéries jouent fatalement leur rôle inévitable et hélas, historique. Comme nous ne pouvons écrire ici un trop long rapport, Votre Sainteté nous permettra de ne pas entrer dans les détails et de conclure. D'ailleurs, une fois l'acquiescement obtenu, ces moyens de coercition cessent, mais la situation morale n'en devient pas meilleure, au contraire; car désormais, cet occupé qui n'a cessé qu'à la force, de travailler pour les intérêts de son ennemi, c'est-à-dire au fond contre sa propre patrie, sans être l'objet d'aucune molestation, et confondu maintenant avec les travailleurs plus ou moins volontaires, il n'a même plus cette auréole de la persécution et du martyre qui est le suprême espoir et le suprême
94r
honneur des victimes innocentes des lamentables conflits humains. Et ainsi peu à peu, toutes les distinctions s'effacent, toutes les nuances disparaissent, et dans ce troupeau humain dont les bras et les jambes sont au service de l'occupant aucune divergence, aucun signe ne vient marquer les générosités honorables de la personne libre et intelligente. C'est pire que la défaite, l'avilissement immérité d'un peuple qui n'avait vraiment mérité ni cette honte, ni ce châtiment. C'est la démoralisation lente mais sure d'une population où aucun sursaut ne vient plus traduire les réactions salutaires d'une conscience angoissée et fière.
Telle est la situation que nous mettons en toute simplicité sous les yeux de Votre Sainteté, confiant que sa haute intervention sera écoutée des autorités militaires et mettra fin aux angoisses de notre misère imméritée.
Daigne, Votre Sainteté, agréer à nouveau l'humble hommage que nous déposons à ses pieds de notre respectueuse et reconnaissante confiance.
Au nom de la Population du Nord de la France.
1Hds. eingefügt im Platzhalter von unbekannter Hand.
Empfohlene Zitierweise
Anlage vom vor dem 25. Mai 1918, Anlage, in: 'Kritische Online-Edition der Nuntiaturberichte Eugenio Pacellis (1917-1929)', Dokument Nr. 9642, URL: www.pacelli-edition.de/Dokument/9642. Letzter Zugriff am: 27.04.2024.
Online seit 20.12.2011, letzte Änderung am 30.04.2012.